Erwan Bonnet, Directeur Exécutif Risques, Conformité et Contrôle permanent – Caisse Épargne Île-de-France Groupe BPCE- livre une analyse complète et sans tabou sur l’octroi des crédits immobiliers.
« Gouverner c’est d’abord loger son peuple » – L’Abbé Pierre 1954
L’accompagnement des transitions sociétales est au cœur de la stratégie bancaire de la CE IDF qui considère notamment l’accès à la propriété comme fondamental et le logement comme témoin de la santé d’une société.
VMI : Le Groupe BPCE est un acteur majeur sur le crédit immobilier, comme tous les groupes mutualistes. Quelle est aujourd’hui la position de la CE IDF sur la distribution des prêts immobiliers ?
Le financement de l’immobilier fait partie intégrante de l’ADN du Groupe BPCE et notamment sur le réseau Caisse d’Épargne qui se positionne comme un des acteurs majeurs du financement du logement social. Financer le logement social, c’est indubitablement participer à œuvrer pour que la plupart des concitoyens soient logés et aider ceux qui ne peuvent pas acquérir des logements du parc privé.
Mais nous intervenons sur le financement du logement dans toutes ses dimensions. En effet, dans le cadre de la reprise des activités du Crédit Foncier, la CE IDF est devenu le financeur de référence en France des copropriétés, notamment dans le cadre des enjeux déterminants de la rénovation énergétique.
Nous sommes également présents sur tous les marchés des professionnels de l’immobilier, tels que celui de la promotion immobilière ainsi que celui des marchands de biens et des investisseurs longs termes avec une direction dédiée aux professionnels de l’immobilier dont l’encours de financement s’élève à 4Md€.
Enfin, au travers de nos 405 agences bancaires ancrées dans le territoire francilien, nous finançons l’ensemble des projets immobiliers de nos clients particuliers. Ces financements peuvent être utilisés pour l’achat d’une résidence principale, d’une résidence secondaire ou d’un investissement locatif.
Intervenant sur l’ensemble des segments de clientèle implantés sur le territoire francilien, le financement du crédit immobilier du marché des particuliers est essentiel dans le modèle d’affaires de la Caisse d’Épargne Île-de-France en consacrant 38Md€ de son bilan à cette nature de financement, soit près de 50% du total de notre bilan de la banque commerciale qui s’élève à 80Md€.
Le crédit immobilier reste incontestablement un produit d’appel pour la banque de détail : la CE IDF bancarisant 25 000 clients net par an issus essentiellement du crédit immobilier qui irrigue par la suite tout le courant d’affaires de la banque grâce à l’équipement de ces derniers au travers d’offres et de services bancaires utiles pour nos clients.
Le modèle d’affaires de la Caisse d’Épargne Île-de-France comme celui de toutes les banques françaises en raison notamment de la rapide et forte hausse de taux ainsi qu’aux travers de fortes contraintes réglementaires a été fortement impacté et perturbé en 2023 en voyant sa production de crédits immobiliers diminuer de 50% en passant de 8Md€ en 2022 à 4 Md€ en 2023.
Cela étant, dans le cadre de notre plan stratégique, nous restons résolument axés, concernant le marché des particuliers, sur une volonté de développement du crédit immobilier dans le cadre de l’accompagnement de nos clients et de nos prospects sur leurs projets immobiliers dans le respect de nos différentes contraintes réglementaires.
Quelle est votre approche en matière d’octroi de crédit immobilier et notamment sur le financement des constructions de maisons individuelles ?
Il n’existe pas de discrimination dans la politique d’octroi entre la maison individuelle et l’appartement haussmannien. Notre schéma de distribution de crédit immobilier est robuste et très industrialisé.
Dans le cadre du financement des projets immobiliers sur le territoire francilien, nous avons systématisé une approche client : en effet, nous finançons avant tout des clients pas seulement des actifs. L’analyse de la banque repose sur les fondamentaux de la capacité du ménage dans la durée à rembourser l’emprunt qui leur est accordé pour financer leur projet. De surcroît, nous faisons appel au modèle de la caution « à la française » en garantie du prêt en substitution de l’hypothèque, modèle plus souple et efficace centré sur une analyse financière du client à l’inverse du modèle anglo-saxon reposant sur la valorisation du bien faisant l’objet du financement.
Ainsi, quel que soit le bien immobilier financé, nos deux interrogations préalables de base sont : est-ce un vrai client en raison des fraudes identitaires et documentaires constatées depuis quelques années et peut-il rembourser sur la base de ses revenus réels et dans la durée le montant qu’il emprunte. Ce modèle d’octroi de crédit immobilier centré sur les revenus des emprunteurs a démontré sa grande résilience lors de la crise de 2008 ou les banques françaises ont été beaucoup moins touchées en matière de défaut clientèle que leurs consœurs européennes sur ce segment d’activité.
Lorsque l’actif à financer est la construction d’une maison neuve, l’analyste va bien sûr s’attacher en outre à l’actualisation du coût des travaux, aux lots réservés voire à la qualité du constructeur mais l’analyse restera centrée sur l’équation coût du projet / revenus / taux d’endettement et « reste à vivre ». De surcroît, nous bénéficions de la seconde lecture de l’organisme de caution qui en moyenne écarte 15% des dossiers.
L’écosystème de la maison individuelle, au cœur de la crise immobilière, est frappé par de nombreux chocs successifs dont un facteur conjoncturel : la chute du pouvoir d’achat immobilier. Quel regard portez-vous sur la dégradation de la conjoncture immobilière dans un contexte où, vous venez de nous le confirmer, la production de crédits est presque divisée par deux ?
La chute de la production de crédit immobilier n’est certainement pas due à une volonté stratégique des banques de réduire le financement de leurs clients dans leurs projets immobiliers. Je réitère que le crédit immobilier est un élément fondamental dans le moteur de la performance et du résultat d’une banque de détail.
Les volumes se sont réduits car nous sommes confrontés à trois chocs de réalités :
L’application des normes du Haut Conseil de Stabilité Financière (HSCF)
Au départ, ces normes étaient une recommandation donnée aux banques sous l’impulsion de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui s’inquiétait que l’endettement privé français fût supérieur à la moyenne européenne et notamment à cause de la prééminence du crédit à l’habitat dans le poids de l’endettement des Français.
Dès lors, la BCE a mis la France sous pression et le HSCF a voulu réguler la distribution bancaire des crédits immobiliers pour les clients ayant un taux d’endettement supérieur à 33% ou dont une durée du crédit supérieur à 25 ans.
Toutefois, afin de ne pas pénaliser l’accession à la propriété, une partie de la production bancaire pouvait s’écarter des critères recommandés. Cette marge de flexibilité devait cependant être strictement encadrée et justifiée. La flexibilité admise dans la 1ère version pouvait aller jusqu’à 15% de la production trimestrielle de nouveaux crédits et ne devait pas dépasser un endettement maximal de 7 années de revenus.
À cette période sur la CE IDF, 40% de notre production de crédit immobilier était hors normes HSCF uniquement sur le taux d’endettement avec, ce qui mérite d’être souligné, un taux de défaut quasi nul dans la durée démontrant la robustesse de notre politique d’octroi de crédits immobiliers. En effet, notre politique d’octroi de crédits immobiliers n’était pas simplement encadrée sur le seul critère du taux d’endettement mais intégrait également la notion fondamentale du « reste à vivre » du client, le montant de l’exposition total de crédit du client et de la Loan to value du bien financé. Ces critères étant très encadrés dans notre banque avec des seuils définis et totalement intégré dans un schéma décisionnel composé de différents niveaux délégataires en fonction de l’appréciation du risque de crédit basés sur ces 4 critères notamment.
Cette recommandation est alors devenue une norme et nonobstant une évolution du taux d’endettement à 35%, le DTI de 7 ans maximum (ratio dette/revenu) est supprimé et l’enveloppe de flexibilité est portée à 20%.
Si ces mesures restent une avancée, il n’en demeure pas moins que le dispositif de l’enveloppe se révèle contraignante et très complexe en matière de pilotage pour les banques de détail dans la mesure où des sous-règles président à cette modalité. En effet, le HCSF a souhaité que cette flexibilité profite d’abord aux primo-accédants et aux ménages s’endettant pour acquérir leur résidence principale. Ainsi, il a réservé 70% des 20% (donc 14% de la production totale de prêts) aux acquisitions d’une résidence principale dont 30% aux primo-accédants et 30% des 20% de l’enveloppe dérogatoire, donc 6% aux financements de biens locatifs.
L’exigence trimestrielle de respect de cette norme a accru cette difficulté de suivi en raison de la saisonnalité de l’activité notamment pour les investissements locatifs qui se concrétisent sur le dernier trimestre de l’année dans le cadre des investissements immobiliers défiscalisant.
Et, le système entre dans une spirale délicate : la Banque de France explique que les banques n’utilisent pas systématiquement leur enveloppe de 20% dérogatoire… enveloppe peu aisée à décliner de façon efficiente dans un réseau commercial en raison de la complexité de son pilotage opérationnel.
Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que les deux populations les plus impactées par les normes HCSF et notamment sur le critère dérogatoire du « > 35% » du taux d’endettement sont d’une part, les primo-accédants dont les revenus seront en évolution dans un contexte où le prix des actifs immobiliers sont élevés et d’autre part, les investisseurs qui financent du logement locatif dans le cadre de constitution de compléments de retraite.
La redécouverte de l’application du taux d’usure aux crédits immobilier dans le cadre du nouveau contexte de taux d’intérêt :
L’activité de financement du crédit immobilier a été très impactée à partir d’avril 2022 au travers l’application par les banques de la règlementation du taux d’usure applicable cette nature de financement. En effet, le marché de l’immobilier a été confrontée à une situation inédite : alors que les taux d’intérêts remontaient brutalement chaque mois dans le cadre de la remontée des taux directeurs de la BCE pour lutter contre l’inflation, les taux d’usure fixés quant à eux trimestriellement restaient à des niveaux plus faibles par construction que les taux proposés par les banques. En effet, le taux d’usure fixé trimestriellement, non seulement, n’intégrait pas la hausse mensuelle des taux mais, par ailleurs, en plus inclut tous les frais. De facto, le taux d’usure sur la période était souvent inferieur aux taux proposés commercialement par les banques. Cette situation inédite a largement empêché les banques de financer un grand nombre de projets immobiliers de leurs clients alors qu’ils étaient totalement solvables.
Sous pression des courtiers et des banques, le calcul du taux d’usure a été revu seulement le 1er février 2023 jusqu’à la fin de l’année 2023. Le niveau de taux d’usure est revu désormais mensuellement et non plus trimestriellement ce qui a permis d’intégrer les hausses de taux plus rapidement dans sa composition et permettre ainsi aux banques commerciales de pouvoir financer les projets immobiliers de leurs clients.
Nous sommes cependant dans une situation où le taux d’usure a empêché les clients d’emprunter à 2% au printemps 2022 pour leur permettre d’emprunter jusqu’à 6% aujourd’hui…
Dans le prolongement de la problématique du taux d’usure, il est important de repréciser que notre modèle de distribution de crédit habitat est un des plus protecteurs au monde. En effet, les banques françaises sur le segment des particuliers prêtent à taux fixe, la banque internalisant ainsi le risque de taux, ce risque in fine n’étant pas porté par le client. Ce modèle n’est pas le plus développé en Europe ou la majorité des banques prête à leurs clients particuliers à des taux variables ou révisables et transfèrent ainsi le risque de taux à leurs clients. En cas de hausse de taux, les échéances mensuelles de crédit augmentent et mécaniquement le taux d’endettement ce qui accroit le taux défaut des clients en portefeuille.
La France, dans le cadre de son modèle bancaire à taux fixe, protège ainsi le client de l’évolution à la hausse des taux futurs sachant qu’en plus elles acceptent majoritairement les renégociations de taux en cas de baisse des taux.
La remontée forte et très rapide des taux d’intérêt
Avec la forte remontée des taux constatés depuis deux ans et le coût du crédit supplémentaire que cela induit pour les clients porteurs de projets immobiliers, le pouvoir d’achat immobilier des Français a été réduit significativement sur la période. En effet, entre 2022 et 2023, pour compenser la hausse des taux, il fallait gagner 30% de plus. En raison de cette désolvabilisation mécanique des ménages, un certain nombre de clients ont abandonné et reporté leurs projets immobiliers voire ont revu leurs prétentions à la baisse.
Par ailleurs, il est important de préciser que l’ajustement à la baisse de la valeur des biens immobiliers liée à la forte hausse des taux d’intérêt sur la période n’a pas été à la mesure de la hausse des taux d’intérêt subie. Cette situation atypique contribue certainement à une forte inertie du marché immobilier à ce jour. En effet, compte tenu de la hausse des taux d’intérêt constatée sur la période, l’ajustement à la baisse du prix des biens immobiliers auraient dû être de moins 15% alors que la baisse effective n’a été que de moins 2% en moyenne.